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La pratique de l’image dans le champ médico-social

Les ateliers de pratique vidéo et leur mise en place demande une bonne connaissance du public que l’on initie pour les intervenants, et une certaine connaissance du contenus des ateliers par les animateurs professionnels travaillant avec les publics souffrant de handicaps. Dans la continuité du travail de Tôt ou T’art pour améliorer l’accès à ce public à l’offre de médiation culturelle, Alsace Cinémas lance ici des pistes de réflexion sur ce thème et la préparation d’une rencontre entre intervenants et animateurs, qui se tiendra le 13 avril au nouveau Pôle Ressources Culture et Handicap de l’ESAT/ salle de spectacle l’Evasion.

ÉDUCATION À L’IMAGE__________QUELS ATELIERS PRIVILÉGIER DANS LE MÉDICO-SOCIAL ?

Dans le cadre du dispositif Passeurs d’Images, nous subventionnons chaque année différents types d’ateliers et actions de sensibilisations ou d’éducation à l’image que chaque structure ou professionnel du social, médico-social, socio-culturel ou du champ de l’insertion. Parmi ces structures, peu de structures médico-sociales nous sollicitent en Alsace pour diverses raisons : le but de cet article est de de faciliter l’intervention des professionnels de l’éducation à l’image auprès de personnes en situation de handicap en citant quelques exemples vertueux d’ateliers de pratique artistique mettant en jeu l’image animée auprès de ce public.

Nous vous informons également qu’une rencontre se tiendra bientôt avec nos partenaires de l’ADAPEI Papillons Blancs de Mulhouse et L’Evasion de Selestat, le 13 avril. 

Un public hétéroclite

D’après le site Comité national Coordination Action et Handicap ( CCAH ) et l’Organisation Mondiale de la Santé ( OMS ), « est handicapée toute personne dont l’intégrité physique ou mentale est passagèrement ou définitivement diminuée, soit congénitalement, soit sous l’effet de l’âge ou d’un accident, en sorte que son autonomie, son aptitude à fréquenter l’école ou à occuper un emploi s’en trouvent compromises ». Toujours d’après le site du CCAH, « le terme handicap désigne la limitation des possibilités d’interaction d’un individu avec son environnement, causée par une déficience provoquant une incapacité, permanente ou non. Il exprime une déficience vis-à-vis d’un environnement, que ce soit en termes d’accessibilité, d’expression, de compréhension ou d’appréhension. Il s’agirait donc plus d’une notion sociale que d’une notion médicale. On estime aujourd’hui à 6 millions de personnes en France qui sont touchées par un handicap. Toutes ces personnes ne sont bien entendu pas égales face au handicap, et il en existe plusieurs types :

  • Le handicap mental, « appelé aussi déficience intellectuelle est définit comme « un arrêt du développement mental ou un développement mental incomplet, caractérisé par une insuffisance des facultés et du niveau global d’intelligence, notamment au niveau des fonctions cognitives, du langage, de la motricité et des performances sociales » selon l’OMS ».*
  • Le handicap auditif, « atteint des personnes atteintes de surdité, qui est un état pathologique caractérisé par une perte partielle ou totale du sens de l’ouïe. Ce handicap peut être présent dès la naissance ou acquis durant la vie de la personne ».*
  • Le handicap visuel, « touche les personnes atteintes de cécité (personnes aveugles), ou de malvoyance. Les causes peuvent être des maladies comme la cataracte (opacification d’une lentille interne) ou le glaucome (touchant le nerf optique), ou héréditaires ».*
  • Le handicap moteur (ou déficience motrice), qui «recouvre l’ensemble des troubles ( troubles de la dextérité, paralysie, … ) pouvant entraîner une atteinte partielle ou totale de la motricité, notamment des membres supérieurs et/ou inférieurs ( difficultés pour se déplacer, conserver ou changer une position, prendre et manipuler, effectuer certains gestes ). Les causes peuvent être très variées : maladie acquise ou génétique, malformation congénitale, traumatisme dû à un accident, vieillissement… »*
  • L’autisme, et les Troubles Envahissants du Comportement ( TED ), « sont caractérisés par un développement anormal ou déficient, manifesté avant l’âge de trois ans, avec une perturbation caractéristique du fonctionnement dans chacun des trois domaines suivants : interactions sociales réciproques, communication, comportements au caractère restreint et répétitif. »*
  • Le handicap psychique « se distingue du handicap mental de la façon suivante : le handicap psychique, secondaire à la maladie psychique, reste de cause inconnue à ce jour.. Il apparaît souvent à l’âge adulte alors que le handicap mental apparaît lui à la naissance. Les capacités intellectuelles sont indemnes et peuvent évoluer de manière satisfaisante. C’est la possibilité de les utiliser qui est déficiente. est la conséquence de diverses maladies : les psychoses, et en particulier la schizophrénie ; le trouble bipolaire (trouble maniaco-dépressif) ; les troubles graves de la personnalité (personnalité « borderline », par exemple) ; certains troubles névrotiques graves comme les TOC (troubles obsessionnels compulsifs). »*

*définitions trouvées sur le site du CCAH : https://www.ccah.fr/CCAH/Articles/Les-differents-types-de-handicap

Des exemples vertueux

____L’organisme de soutien et de service aux personnes handicapées, l’AAPEI ( Association de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis ) et la SAJH ( Structure d’activités de jour et d’hébergement ) de Schiltigheim  :

La SAJH de Schiltigheim, mène chaque année des ateliers audiovisuels au sein des ateliers menés dans l’accueil de jour et qui accueille un public de personnes handicapées mentales, touchées par la trisomie ou par des AVC, ou encore des cérébraux lésés entre 20 et 65 ans, dont la moyenne d’âge est de 40 ans. Neuf pôles d’activités existent en ce lieu : parmi elles, un pôle artistique, sportif, et culturel. C’est ainsi que les animateurs et les personnes hébergées pratiquent au quotidien différentes activités : mosaïque, photo, mais aussi, vidéo. Les ateliers vidéos remportent un grand succès auprès d’un groupe de personnes handicapées mentales, en tant que support de création mais aussi de communication : de par le travail de la reconnaissance du son, de l’écoute, du non verbal ( et du rapport aux émotions ), mais aussi pour un travail sur notre environnement. L’atelier vidéo au sein de la SAJH a permis à l’équipe de faire un film sur la sécurité piétonne, un véritable support pour les membres de la structure, qui permet de transmettre et de sensibiliser sur le sujet, mais également, un objet fini, qui met en valeur leur travail. De la même manière, ils utilisent actuellement la vidéo pour faire un guide du routard, afin de guider les personnes handicapées, et de repérer les lieux qui leur sont adaptés. 

___L’atelier_de_réalisation

La contraintes majeures de leur public sont la compréhension, l’adaptation des supports ( par exemple pour la communication, la prise de rendez-vous ), le développement de l’imaginaire et la parole ( avec le questionnement suivant : comment intégrer une personne dans un groupe lorsqu’elle ne parle pas, comment s’intégrer dans une scène, dans un rôle ). Pourtant, la SAJH et les membres de la structure ont réalisé un long-métrage en 2017. Long-métrage qui était, il y a quatre ans, d’abord un projet d’écriture au sein de l’atelier d’écriture de la structure, qui deux ans plus tard, s’est transformé en un l’atelier vidéo. Ils ont d’abord décidé de faire un court-métrage, puis ayant plus de matière qu’espéré, l’équipe et les membres de la structure, ont décidé d’en faire un long-métrage.

D’après Fanny, animatrice à la SAJH, ce long-métrage fut une aventure humaine et conviviale : chaque personne de la structure a réussit à trouver son propre rôle : prise de son, prise de vue, recherche de décors, contact des établissements privés pour aller tourner dans leur lieu, recherches de costumes, implication dans le jeu, chacun, y trouve son compte. Evidemment, il est à prendre en considération qu’en vue de leur public, un atelier ( quel qu’il soit de toute manière ), prendra davantage de temps de travail et de patience , bien qu’il soit tout à fait faisable : le tout, c’est l’adaptation à son public, et pour la SAJH, la création de long-métrage s’est pratiquement étalé sur quatre années depuis les prémices de l’écriture. Les membres travaillaient en table ronde : chaque personne s’opposant à une partie de l’intrigue devait expliquer pourquoi, et surtout, apporter une solution si elle ne souhait pas qu’un élément face partie de l’histoire. Cette manière de construire l’histoire permettait de créer des temps de débats, et d’explication. C’était d’abord l’équipe d’animation qui écrivait les histoires jusqu’à ce que le groupe choisisse de le faire à son tour. L’atelier d’écriture s’est donc transformé en atelier vidéo.

___La table Mashup
D’ailleurs, l’outil que le Pôle met à disposition, la Table Mashup, semble avoir connu un grand succès au sein de la structure, qui, si elle le pouvait, s’en emparerait plus souvent. Fanny pense toutefois que les séquences vidéos proposées par la table mashup semblent trop courtes pour ce public, et que les images et leur univers (archives américaines des années 60, reflétant la famille moyenne idéale), leur sont peu parlantes.

Cependant, l’avantage de la table mashup est qu’il est possible de créer un corpus personnalisé de rushes, et la SAJH envisagerait d’en créer un spécialement pour son public. Car la table mashup aurait suscité un très grand intérêt auprès de son public, qui aurait adoré manipuler et appréhender l’outil dans l’immédiat; d’ailleurs, certains auraient même détourné la vocation principale de la mashup pour créer un karaoké. L’avantage de la table est qu’elle permet à ce public de voir quelque chose de concret se construire, et surtout, en temps réel. Quelques aléas de coopération dans le groupe semblent avoir eu lieu ( pas toujours facile de faire équipe, surtout quand certains ne peuvent parler ), mais ce n’est rien face à l’intérêt provoqué. Elle permet d’accroître le développement de l’imaginaire, une valeur ajoutée non négligeable, nous dit l’animatrice.

___Les_autres_ateliers_d’audiovisuel

En définitive, la vidéo permet un véritable travail pédagogique sur notre environnement. Fanny nous explique que si les projets ne sont pas toujours des films aboutis, les membres de la structure ont pu, jusqu’à aujourd’hui, toucher à différents outils du domaine : effets spéciaux, montage photo ( pour en faire de la bande-dessinée ), jeu d’acteur par le biais de courtes scènes ( de là est né le long métrage cité plus haut ), montage ( pour faire une bande-annonce par exemple ).
Par ailleurs, notre animatrice ne lui recommande pas le stop motion, pour des raisons de motricité et de participation collective, ni light painting et le vidéo light painting.

___Le_ciné_club

Enfin, la SAJH animait un ciné-club pendant cinq ans. Véritable moment de partage où chaque personne part à la recherche d’un DVD ou d’un film qu’il ramène, et veut voir collectivement. Puis les membres du groupe votent pour le film qu’ils choisiront de regarder sur plusieurs séances, où plusieurs questions seront soulevées : qu’est-ce que c’est un film d’action, qu’est-ce qu’une comédie?..

____SIMOT – Route Nouvelle Alsace

Actuellement, c’est l’association Route Nouvelle Alsace qui a mis en place un atelier de réalisation de court-métrage avec son public. L’association développe et gère des établissements et des services médico-sociaux dont l’objectif est l’insertion et la réinsertion professionnelle de personnes en situation de handicap psychique ( y compris en milieu ordinaire de travail ), l’hébergement dans des lieux de vie social, et l’accès à la culture. Elle accueille ou accompagne aujourd’hui près de 800 personnes en situation de handicap psychique. Au sein de RNA, le SIMOT ( Service d’Insertion en Milieu Ordinaire de Travail ), créé en 1991, a pour missions l’accompagnement vers l’emploi, le maintien dans l’emploi et la formation des personnes en situation de handicap psychique dont l’état de santé est stabilisé. 

À l’automne 2016, le SIMOT a été contacté pour intervenir lors de la Semaine d’Information sur la Santé Mentale 2017. Afin de préparer son intervention, un groupe de travail a été constitué et ainsi a émergé le souhait de réaliser un support vidéo relatant certains parcours. Dans un souci d’anonymat, le SIMOT s’est orienté vers les techniques d’animation. Dans cet objectif, il a fait appel aux participants d’un projet antérieur : l’édition du livre d’artiste « Chemin 1 », réalisé collectivement par 10 auteurs-illustrateurs, professionnels ou non, bénéficiant d’un accompagnement par le SIMOT et en partenariat avec l’imprimerie Papier Gâchette. Sorti en septembre 2016, « Chemin 1 » a été imprimé en sérigraphie en 250 exemplaires et continue à être diffusé. Aujourd’hui, seulement un membre de cet ancien atelier ne participe à ce nouveau projet, pour différentes raisons, et c’est un nouveau groupe qui émerge et découvre l’imprimerie de Pascale Willem, ainsi que le plateau de tournage que le cinéaste Jules Gyomorey a mis en place au sein des locaux.

Au fil des groupes de travail, le projet a évolué vers une volonté de rendre compte et d’interroger les maladies psychiques, en rapport avec le travail et la société. « Qui sommes-nous ? Quel est notre parcours ? Comment vit-on avec nos fragilités, nos sensibilités, nos singularités ? Quelle vie sociale, quels regards ? » Avec notamment la question du lien entre handicap psychique et vie professionnelle. 

Lors de la première séance, à laquelle nous avons pu assister, les membres du SIMOT ont pu découvrir les locaux de Papier Gâchette, une imprimerie qui n’utilise que des techniques d’impression à l’ancienne ( à plat ). Après un temps de formation mené par le cinéaste intervenant, deux groupes ont été formés et chacun a du créer une courte histoire qu’ils ont animé en stop motion. Finalement, en une demi-journée, les membres du SIMOT ont appris beaucoup, et il peuvent, désormais se lancer dans l’écriture de leur court-métrage d’animation : affaire à suivre.

____l’atelier Son de l’association GIAA/ Soutien Passeurs d’Images

De son côté, Philippe Aubry a mené un atelier en janvier/février, avec l’association GIAA ( Groupement des Intellectuels Aveugles ou Amblyopes ) dans le cadre de la semaine du son, qui a lieu chaque année du 20 janvier au 4 février. Après avoir participé à 

l’audioguide « Vous êtes ici » par le biais d’une création sonore intégrée (Terrasse panoramique) en 2016,  l’association GIAA souhaitait développer en collaboration avec la Cie Le Bruit Qu’ça Coûte une autre création sonore dans ce cadre.  La Cie, fabricatrice de paysages sonores, développe des projets collaboratifs de création sonore, en proposant l’initiation à la prise de sons, à l’écriture radiophonique et au montage : elle organise également des spectacles et des installations tout public.

Le sujet de cette nouvelle création était cette fois-ci la place d’Austerlitz de Strasbourg, parmi les 20 autres stations appelées « points d’ouïe ». Ce documentaire sonore de six de minutes passait par différentes phases d’initiations pour les participants, membres du GIAA, comme la captation sonore avec du matériel professionnel, l’écriture à partir des captations réalisées et d’archives audio, la mise en voix de l’écriture par les membres du GIAA et quelques notions de montage pour valider des choix d’écriture sonore. Le but de cette création collective était de questionner la notion de mobilité dans la ville perçue par des usagers non-voyants de transports en commun, équipés d’outils permettant ( ou non ) une orientation et l’usage des services en place. En fait, un tel projet permet de révéler les rapports avec les personnes à mobilité moins réduite et les carences en terme d’adaptation à certains handicaps. Au delà de l’aspect factuel historique et topographique du centre-ville intégré au sein de la création, ce documentaire sonore intègre aussi des démarches artistiques, en sublimant par le son et la plume la réalité sonore des lieux à travers un univers poétique et émotionnel.

Dès lors, les participants non-voyants à cette aventure artistique possèdent, malgré leur handicap, autant de capacités que les voyants quant à la qualité d’écoute et l’aptitude à analyser un paysage sonore d’un espace public, l’apprentissage technique se transmettant de façon orale et au touché. De plus, l’accompagnement permanent de l’équipe artistique de la Cie Du Bruit Qu’Ca Coute durant les phases de captation et d’écriture avait pallié aux difficultés éventuelles de mobilité des participants. En fait, la réussite de ce projet tient au fait que la non-voyance devienne un atout et non pas un handicap dans le processus de création sonore.

D’ailleurs, pour les plus curieux d’entre vous, sachez qu’une restitution de cet atelier aura lieu au Shadok ce vendredi 9 février à 19:30. Aussi, une installation sonore et visuelle permettra au public d’écouter les 24 points d’ouïe du 7 au 11 février au premier étage du Shadok ( heures d’ouverture indiquées sur le site du Shadok ).